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ARAKI/SAEKI L'héritage fantasma(éro)tique du shunga

EXPOSITION ARAKI/SAEKI L'héritage fantasma(éro)tique

  

 

 

« Toute création se nourrit, en réaction ou en s’en inspirant, de l’imaginaire des époques précédentes.
Le photographe Araki Nobuyoshi et le dessinateur Saeki Toshio se situent ainsi dans la lignée d’expressions de l’art graphique japonais qui courent sur des siècles  »

 

 Araki Nobuyoshi et Saeki Toshio, Émules d'un art érotique pluriséculaire

 

Toute création se nourrit, en réaction ou en s’en inspirant, de l’imaginaire des époques précédentes. Le photographe Araki Nobuyoshi (1940) et le dessinateur Saeki Toshio (1945-2019) se situent ainsi dans la lignée d’expressions de l’art graphique japonais qui courent sur des siècles allant du dessin à l'illustration, la peinture, la gravure — sans pour autant que l’on puisse réduire leurs œuvres à cette simple inspiration. Les images érotiques, grotesques, perverses, scabreuses ou horribles que véhicule un courant de l’art japonais taraudent leur imagination. Et tous deux ont eu affaire avec la censure pour avoir bousculé des tabous de leur époque. «La censure force à avoir de l’imagination...» ironise Araki.

Avant le contact avec l’Occident, au milieu du 19ème siècle, le Japon connut une sexualité non inhibée par une quelconque suspicion-culpabilisation du plaisir. Le bouddhisme condamne certes le désir, source d’illusion, mais il n’a pas thématisé la sexualité en tant que telle – pas plus que le culte shinto (sorte d’animisme polythéiste préexistant à l’arrivée de celui-ci). Les mœurs sexuelles étaient réglées par la bienséance, c’est-à-dire des interdits sociaux et le plaisir charnel faisait partie des arts de l’existence. Ce fut le cas en particulier de l’époque Edo (1603-1868), hédoniste et libertine à bien des égards.

Les images érotiques (shunga, «images du printemps») qui existaient auparavant connurent alors un essor extraordinaire avec la technique de l’estampe coloriée: les «estampes de brocart» (nishiki-e). La plupart des grands maîtres de l’ukiyo-e (Utamaro, Hokusaï, Kunisada...) s’y adonnèrent. Empruntes d’un érotisme ludique ou parodique, elles étaient largement diffusées. Les femmes n’étant pas les dernières à les regarder.

Le terme shunga fut utilisé à partir de l’ère Meiji (1868-1911). Auparavant, on les nommait estampes de l’oreiller (makura-e) —le sexe était une pratique corporelle comme une autre à laquelle il fal- lait s’initier. Et comme telles, elles étaient souvent offertes aux jeunes mariés. On les appelait aussi warai-e (estampes pour rire). Cocasses, triviales, elles étaient souvent regardées à plusieurs (hommes et femmes). Couples hétérosexuels ou homosexuels (masculins ou féminins), accouplements, jeux de miroir, voyeurisme, scènes cocasses... sont quelques figures de ce riche registre imaginatif. À Meiji, elles furent interdites afin de paraître «civilisés» aux yeux des Occidentaux saisis du puritanisme victorien.

Au début du 20ème siècle, au cours de ce que l’on appelle les «années folles» du Japon, apparut dans la culture de masse naissante un courant baptisé ero-guro-nansensu (érotique, grotesque, absurde) portée par une créativité débridée, une quête du bizarre et du pervers, nourrissant une insouciance qui n’est pas sa rappeler l’atmosphère de la République de Weimar alors que se profilaient les années noires du nazisme et, au Japon, du militarisme. L’esprit de plaisir, réprimé au cours de la période mili- tariste, allait renaître dans les ruines de la défaite de 1945 dans une exaltation des corps et une quête effrénée de vivre l’instant, puis au cours de la riche contre-culture des années 1960.

Une des grandes figures de cette période fut Saeki Toshio. Renouant avec l’esprit «ero-guro- nansensu» en combinant un érotisme parfois macabre à une ironie s’inspirant de motifs traditionnels, son œuvre reflète les espoirs dont était porteuse la contre-culture puis les désillusions de la décen- nie suivante qui tournent chez lui à la fresque cauchemardesque. Une déréalisation du monde dans laquelle l’érotisme, le rire grinçant et la frayeur —inspirés par les fantômes (yurei) et les créatures fantastiques (yokai) qui peuplent le folklore japonais— font bon ménage avec le sexe. Au cours de l’histoire, les images de créatures monstrueuses ont souvent été un reflet des tensions sociales : ce fut le cas à la fin du régime Tokugawa (première moitié du 19ème siècle): les pièces de kabuki étaient truffées de scènes d’horreur. À l’époque moderne, ce fatras du surnaturel venu de la nuit des temps ne s’est pas évanoui: la technologie a permis d’en démultiplier les figures.

Araki manifeste un goût pour le trivial et l’excessif mais aussi les poupées désarticulées ou les figurines miniatures en plastique des animés et des mangas qui interagissent souvent avec des femmes qu’il photographie.

 

De son œuvre prolixe, on ne retient souvent que les images de femmes ligotées : ce qui est réducteur, même si elles sont nombreuses. En témoigne son premier livre, publié à compte d’auteur, Voyage sen- timental (1971) puis d’innombrables photographies des rues du Tokyo de sa jeunesse comme plus tard de Shinjuku le fameux quartier chaud ou des portraits de femmes non dénudées, ou partiellement.

Ses femmes ligotées s’inspirent de la tradition de «l’art de la corde» (kinbaku: ligotage serré). Pratique de torture pluriséculaire, le ligotage devint au début du 20ème siècle un jeu érotique dont un initiateur fut le peintre et illustrateur Ito Seiu (1882-1961). En tant que châtiment, le ligotage nécessitait une bonne connaissance de l’anatomie afin que le supplice se prolonge... Un savoir-faire que possèdent de nos jours les maîtres du kinbaku, qui, eux, évitent savamment les compressions douloureuses.

Le visage des femmes ligotées et suspendues d’Araki n’expriment ainsi aucune douleur ni aucune honte. Dénuées du sadisme qu’on lui prête – que l’auteur rejette avec véhémence-, ses photographies de femmes suspendues font penser à «un délicat mobile de Calder» note Philippe Forest (Araki enfin, l’homme qui vécut pour aimer, Gallimard, 2008).

 

Philippe Pons

 

L’exposition est à voir du 18 octobre au 11 janvier 2025 au 119 rue Vieille du Temple, Paris

Vernissage public
samedi 26 octobre, 15h - 19h

 

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The exhibition explores the legacy of Japanese erotic iconography - and in particular shunga (erotic Japanese prints from the Edo period (1603-1868), part of the art of ukiyo-e) - in the singular and playful approach to sex and fantasy in their respective works. Their work, both playful and subversive, redefines the boundaries of erotic art, while paying homage to this artistic tradition.

 

The exhibition runs from 18 October to 11 January 2025 at 119 rue Vieille du Temple, Paris.

Public opening
Saturday 26 October, 3pm - 7pm