HIPPIE DAYS 1966 — 1968

3 juillet 1966. Fraîchement débarqué de sa banlieue parisienne, le jeune Alain Dister s’installe sur un trottoir new-yorkais à l’angle de la 5ème avenue et de la 42ème rue, pour tenter de négocier quelques dessins. Dans sa sacoche un boîtier Canon FP et trois objectifs. Les débuts sont rudes. Garnis miteux, amours éphémères. Mais le petit Frenchie n’a que 24 ans, l’époque permet encore de subsister dans les marges et le vrai voyage ne tarde pas à commencer. Un trip à la Kerouac: route 66 dans un cabriolet Pontiac rouge écarlate à livrer West Coast. Le trajet sera sans retour, d’une certaine manière. One way. Dès l’arrivée à Los Angeles l’apprenti photographe décroche des rendez-vous incroyables avec des stars elles aussi débutantes: les Beach Boys, Sonny and Cher, Frank Zappa…Waooooh! La Californie vient d’entrer en effervescence. L’épicentre du phénomène se situe au nord dans la vieille Frisco, au carrefour précis des rues Haight et Ashbury, qui voient converger des flux de plus en plus nourris et bigarrés de teenagers en rupture, de draft dodgers (déserteurs de la conscription pour le Vietnam), de vrais ou faux poètes beat : colliers de fleurs, pieds nus, effluves de marijuana. On vit au ras du sol, assis sur l’herbe dans le Golden Gate Park ou dans l’une des communautés qui bourgeonnent sur les collines, dans des crash pads en planches repeintes de couleurs vives. L’année suivante le “Mouvement” est à son sommet: Summer of Love. Un âge d’or de la musique, qui entretisse ses ragas avec les riffs puissants des géniales guitares d’Hendrix, de Clapton, de Jerry Garcia…Tout se partage, les nourritures, les corps, les petites pilules magiques, et quelques germes adventices… qu’on va soigner à la Free Clinic.

Alain Dister vit goulûment ce moment précieux, dont il pressent qu’il est éphémère. Simultanément inside et outside, il déclenche ou…oublie de déclencher, soit parce qu’il est trop perché, soit parce qu’il est trop pauvre et que la pellicule manque. Il note, il croque, dans de petits carnets de toile cirée cousus. Il collecte des souvenirs, flyers de concerts, adresses griffonnées, feuilles de route, portraits fugitifs. Avec une immense tendresse, et toujours la distance critique, “documentaire”. Il repart, revient, pendant trois années, son éternelle sacoche sur l’épaule, arpentant le triangle d’or Paris-New York-San Francisco.

De ce voyage fondateur, qui va faire de lui une icône de la rock critic naissante (même en France où la culture académique la boude…), il gardera de solides amitiés, retrouvant par exemple à Rome un Frank Zappa désormais consacré. Le regard en éveil sur les émergences. Attentif à ne pas céder à la nostalgie. Travaillant le graphisme du noir et blanc, la matière, la couleur, le cadre. Toujours à distance, toujours libre, toujours fraternel. Sans réel plan de carrière. Au fil de la route, l’œil grand ouvert.

Marie Hélène Fraïssé, journaliste, écrivain, productrice radio.
Présidente de l’Association dédiée à l’œuvre d’Alain Dister, dont elle fut la compagne pendant vingt ans.